L’inflation, qui atteint des sommets inégalés depuis des décennies, a contraint les banques centrales à relever rapidement leurs taux d’intérêt, ce qui a entraîné une hausse généralisée des rendements obligataires1. Cela n’a guère laissé de répit aux investisseurs en quête de diversification par rapport aux actions, les deux classes d’actifs ayant souffert de manière simultanée. Cependant, le cycle de hausse des taux touche à sa fin puisque les autorités monétaires sont de plus en plus préoccupées par les problématiques de croissance. De notre point de vue, cela peut constituer un point d’entrée intéressant pour les investissements obligataires. Nous pensons même qu’il s’agit là d’une opportunité unique.
Gagner la bataille de l’inflation
La poussée inflationniste a été imputable à la fois aux politiques monétaire et budgétaire accommodantes visant à soutenir la croissance au plus fort de la crise de la Covid-19 en 2020 et 2021 et à la forte hausse des prix de l’énergie et des matières premières déclenchée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie en début d’année. À eux seuls, les États-Unis ont injecté environ 9 500 milliards de dollars dans leur circuit économique et de nombreuses autres régions du monde leur ont emboîté le pas pour lutter contre les retombées de la pandémie.

Toutefois, un certain nombre d’indicateurs avancés montrent que l’environnement inflationniste est en train d’évoluer, même s’il est encore loin d’atteindre le niveau de 2 % souhaité par les autorités monétaires. La croissance de la masse monétaire s’effondre aux États-Unis, et des baisses trimestrielles annualisées de cette ampleur n’ont plus été observées depuis la Grande Dépression.

L’indice des prix à la consommation (IPC) américain s’est replié après avoir atteint en juin son plus haut niveau depuis quarante ans (9,1 %), les prix des matières premières, des denrées alimentaires et du pétrole ayant chuté par rapport à leur pic de début d’année. Les prix à la production en Chine sont tombés à leur plus bas niveau depuis deux ans, ce qui devrait également soulager l’IPC américain. La question n’est plus de savoir si l’inflation va ralentir, mais plutôt à quel rythme et où elle va finir par se stabiliser.
L’erreur de l’atterrissage en douceur
La principale question que se posent actuellement les investisseurs est de savoir si la récession est une certitude ou si un atterrissage en douceur est encore possible. Ce dernier implique un ralentissement de la croissance et une baisse de l’inflation, sans pour autant provoquer une flambée du chômage, une forte dégradation de l’économie ou une fragilisation supplémentaire des actifs risqués. Dans les pays occidentaux, les banques centrales n’ont commencé à relever leurs taux que vers la fin du premier trimestre 2022, mais le processus de hausse s’est avéré pour le moins agressif.

En général, les économies prennent entre 12 et 24 mois pour digérer une hausse ou une baisse des taux, en fonction du niveau d’endettement. Si l’on se fie aux antécédents historiques, il est très peu probable de passer sans encombre d’une inflation élevée à une inflation normalisée tout en maintenant une croissance stable. Dans ces conditions, les banques centrales ont tendance à resserrer leur politique monétaire de façon excessive en raison du délai important et variable avant que leurs retombées ne se fassent sentir. À l’aube de 2023, la politique monétaire est déjà très restrictive, l’essentiel des resserrements précédents doit encore être digérée et de nouveaux relèvements sont attendus sur plusieurs marchés. Nous estimons que cela va provoquer un fort ralentissement de la croissance, que les récents chiffres de l’indice des directeurs d’achat (PMI)2 ont permis de déceler dans une certaine mesure, et plusieurs indicateurs avancés montrent que la situation risque de se détériorer en 2023.

Le corollaire naturel de la récession sera une chute brutale de l’inflation. Une analyse montre qu’au cours des 100 dernières années, l’indice des prix à la consommation (IPC) aux États-Unis a diminué en moyenne de 7 % durant les périodes de récession.
Perspectives 2023: Menace de récession ?
Le logement joue un rôle essentiel
Le logement est l’un des indicateurs que nous surveillons de près, car l’immobilier est un secteur fortement endetté. S’il venait à chuter, il entraînerait sans doute une réaction en chaîne qui affecterait la richesse des ménages, déjà érodée par la baisse de presque tous les prix des actifs cette année.

Les prix du logement influencent également les habitudes de consommation et, en fin de compte, la santé de l’économie dans son ensemble. La hausse des taux hypothécaires a considérablement réduit l’accès au logement, en particulier aux États-Unis. Les prix sont en baisse au Royaume-Uni, à Hong Kong, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Suède. Le marché immobilier chinois traverse également une période difficile, ce qui a naturellement une incidence sur la croissance économique mondiale.

Enfin, les marchés immobiliers sont essentiels vis-à-vis de l’inflation puisque le logement représente environ un tiers de l’IPC américain. Ces derniers mois, l’IPC du secteur du logement a rattrapé la hausse parabolique des prix de l’immobilier observée ces dernières années. Si l’on examine des indicateurs plus opportuns, tels que les loyers demandés sur le marché, on peut déjà constater un ralentissement significatif. En d’autres termes, la faiblesse du marché immobilier se traduira par une baisse des prix des logements à l’avenir.
Emploi et croissance
En analysant l’économie américaine, de nombreux investisseurs ont souligné la résilience du marché de l’emploi au cours des derniers trimestres. Au vu des indicateurs avancés, nous constatons déjà que de grands groupes américains annoncent des licenciements ou un gel des embauches, notamment dans le secteur technologique. Cela apparaîtra progressivement dans des données clés telles que les chiffres de l’emploi et les demandes initiales d’allocations chômage.

Dans l’ensemble, le contexte de croissance devrait inciter les banques centrales à interrompre, puis à inverser certaines des mesures prises en 2022. Il pourrait s’agir de l’arrêt des mesures de resserrement quantitatif (vente d’obligations) ou du début de la baisse des taux, ou d’une combinaison des deux. Nous pensons que la Réserve fédérale américaine est susceptible de marquer une pause dans la hausse des taux au premier semestre 2023 et de passer à un cycle d’assouplissement plus tard dans l’année. Cela constituerait un environnement favorable à des rendements obligataires très élevés.

L’histoire nous rappelle que la Fed observe généralement une pause entre quatre et six mois avant de réduire ses taux, mais ce processus pourrait être accéléré si le chômage s’envole ou si d’autres indicateurs économiques se détériorent de manière particulièrement brutale. Le maintien de la stabilité des prix est l’un de ses objectifs économiques clés, au même titre que le « plein emploi ». Par conséquent, nous nous attendons à ce qu’elle intervienne pour éviter toute détérioration rapide sur le marché de l’emploi.
Accidents financiers, risques géopolitiques
Les banques centrales seront également attentives aux signes annonciateurs de risques pour la stabilité financière provenant de l’endettement dissimulé ou sous-estimé qui s’est accumulé sur certains segments du marché pendant les années de politique monétaire accommodante. Par le passé, une forte appréciation du dollar américain, une envolée des prix du pétrole ou des taux d’intérêt à long terme atteignant certains seuils ont renforcé le risque d’accidents financiers. En 2022, nous avons vu ces trois phénomènes se produire simultanément. Ainsi, nous considérons les 12 prochains mois comme une période critique pour les marchés financiers et restons attentifs aux premiers signes d’une plus grande instabilité.

Les marchés financiers font également face à d’autres risques. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine est toujours en cours et l’incertitude est élevée. Nous évitons d’établir des prévisions spécifiques concernant les prix du pétrole ou du gaz naturel, car ils dépendront essentiellement de facteurs imprévisibles tels que la fin du conflit ou la rudesse de l’hiver à venir. Cependant, il est clair que les matières premières ne sont plus le principal moteur de l’inflation et nous pouvons nous attendre à une certaine désinflation à l’avenir, comme cela a déjà été le cas pour certains métaux de base.
Conséquences en termes d’investissement
Compte tenu de l’évolution de l’inflation et de la croissance, les emprunts d’État américains, australiens et néo-zélandais nous semblent particulièrement attrayants à moyen et long terme. En termes de positionnement, les valorisations de certains segments de l’univers des obligations à haut rendement et investment grade émises sur les marchés développés semblent attrayantes. Néanmoins, la sélection des titres de crédit est importante dans cet environnement, car les taux de défaut devraient augmenter dans les années à venir. Par conséquent, nous préférons les secteurs défensifs et les titres sécurisés dans des secteurs tels que les télécommunications et la télévision par câble. Nous pensons également que la valorisation du dollar américain est en train de plafonner à mesure que nous nous rapprochons du revirement de la politique monétaire des banques centrales, ce qui, le moment venu, sera de bon augure pour la dette émergente, notamment celle émise par des pays riches en matières premières comme le Brésil, et pour certaines devises émergentes. Pour l’instant, notre exposition aux marchés émergents reste limitée, mais il s’agira certainement d’y accorder une attention particulière afin d’identifier les opportunités potentielles qui pourraient émerger.
1 Les prix et les rendements obligataires sont inversement proportionnels. Les rendements augmentent lorsque les prix baissent.
2 L’indice PMI est basé sur une enquête menée auprès de cadres supérieurs dans le but d’évaluer les tendances économiques de leurs entreprises, en mesurant notamment les nouvelles commandes et les stocks.

« The value of active minds » : la pensée indépendante 

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