Investir à l'ère de la surinformation
Amadeo Alentorn, gérant principal de la stratégie d’actions systématiques, explique comment prendre des décisions d'investissement dans un monde de plus en plus influencé par de grandes quantités de données.
La surinformation est la difficulté que l’esprit humain éprouve à comprendre un problème lorsqu’il est submergé par trop de données. Selon un document publié en 2023 par la Réserve Fédérale américaine, la surinformation peut augmenter à la fois le risque d’information et le risque d’estimation². Ses auteurs soutiennent que la « surinformation peut accroître le risque d’information et d’estimation et détériorer la précision des décisions des investisseurs en raison de leur attention limitée ».
Biais comportementaux
La confiance dans les récits peut être inscrite dans nos gènes, car les humains ont développé la capacité de créer et de comprendre des histoires en tant que stratégie de survie. Le récit a aidé nos ancêtres à communiquer des informations vitales, à coopérer et à se coordonner avec les autres, à renforcer les liens sociaux et l’identité de groupe, et à simuler et à planifier des scénarios futurs. Les histoires fournissaient un sens et un but, ainsi que des compétences de gestion émotionnelle et d’adaptation.
Croire aux histoires a peut-être conféré un avantage adaptatif aux premiers humains. Alors que cela fonctionnait bien dans la nature, cela peut nous désavantager en matière d’investissement dans le monde moderne. Les histoires appuient souvent les croyances communes, mémorables et convaincantes, mais elles peuvent nous pousser à commettre des erreurs. Notre amour du récit peut nous rendre susceptibles à des biais comportementaux.
Tout d’abord, cela peut nous rendre enclins au biais de confirmation, la tendance à rechercher et à interpréter des informations qui confirment nos croyances, tout en ignorant ou en minimisant les preuves qui les contredisent. Le biais de confirmation peut nous amener à surestimer la validité et la fiabilité de nos propres opinions, et à négliger les explications ou perspectives alternatives.
Également, cela peut nous rendre susceptibles à l’heuristique de disponibilité, la tendance à juger la probabilité ou la fréquence d’un événement en fonction de la facilité avec laquelle nous pouvons nous souvenir d’exemples de mémoire. L’heuristique de disponibilité peut nous amener à surestimer la probabilité d’événements rares ou dramatiques et à sous-estimer la probabilité d’événements courants ou banals.
Troisièmement, cela peut nous rendre vulnérables à l’effet de cadrage, la tendance à être influencé par la manière dont l’information est présentée, plutôt que par l’information elle-même. L’effet de cadrage peut affecter nos décisions et nos préférences en fonction de la façon dont les options sont formulées, ordonnées ou mises en avant. Par exemple, nous pouvons être plus enclins à accepter un risque si celui-ci est présenté comme un gain potentiel plutôt que comme une perte potentielle, même si la valeur attendue est la même.
Ces biais comportementaux et d’autres affectent de nombreux investisseurs, et, à notre avis, leurs effets peuvent être détectés sur les marchés. Par exemple, le phénomène de comportement moutonnier se produit lorsque les investisseurs imitent le comportement des autres, ce qu’ils peuvent faire surtout lorsqu’ils sont confrontés à des résultats très incertains. L’effet moutonnier peut être l’une des raisons des cycles d’expansion et de contraction.
L’effet moutonnier se retrouve souvent dans la nature… et aussi sur les marchés financiers.
Les marchés adoptent-ils un comportement moutonnier ?
Le premier avion motorisé a été construit en 1903. Avant cela, les cerfs-volants et les ballons étaient utilisés, mais il aurait pu sembler fou que des objets avec des ailes métalliques et un moteur à essence puissent voler. Jusqu’à récemment, il aurait pu sembler fou que d’autres objets en métal et en silicium – les ordinateurs – puissent penser intelligemment. Mais maintenant, beaucoup croient que cela est possible dans un avenir proche.
ChatGPT a été lancé en 2022, près de 120 ans après que les frères Wright aient fait voler leur avion. ChatGPT, et d’autres grands modèles de langage, ne présentent pas d’intelligence artificielle générale (IAG). En revanche, ils font des prédictions et peuvent générer des mots qui suivent probabilistiquement dans une phrase. Les grands modèles de langage sont essentiellement de brillants imitateurs du langage humain et n’ont pas la capacité de percevoir ou de raisonner sur le monde. Ils ne sont certainement pas conscients, bien que leur compétence en génération de langage puisse parfois donner l’illusion qu’ils le sont.
L’excitation autour de l’IA est en partie la raison pour laquelle le secteur technologique a dominé les marchés boursiers ces derniers mois. Le prix des actions de Nvidia, dont les puces sont largement utilisées dans l’IA, a quadruplé depuis début 2023. Les « Magnificent Seven » (Apple, Nvidia, Microsoft, Amazon, Google, Meta, Tesla) représentent désormais 28% du S&P 500 en termes de capitalisation boursière. Un exemple de comportement moutonnier ?
Source: Bloomberg, au 21.03.2024. Bloomberg Magnificent 7 Total Return Index, NASDAQ 100 Total Return index, S&P 500 Total Return Index, normalisé à partir du 30.12.2022.
Investir dans un fonds passif suivant un indice pondéré par la capitalisation boursière (tel que le S&P 500) n’implique pas d’allouer une somme égale à chaque action de cet indice, mais d’allouer davantage aux actions à grande capitalisation de l’indice. C’est acceptable si elles maintiennent leur leadership, mais historiquement ce n’a pas toujours été le cas. Les actions à grande capitalisation du S&P 500 en 1990 étaient Exxon, IBM, Loews, Raytheon et Bristol-Myers Squibb. Lesquelles seront-elles en 2035 ? Peut-être pas les mêmes qu’aujourd’hui.
Actions les plus importantes dans le S&P500 Capitalisation boursière entre parenthèses. |
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1990 | Exxon ($63bn), IBM, Loews, Raytheon, Bristol-Myers Squibb |
2000 | Microsoft ($604bn), General Electric, Cisco, Walmart, Exxon |
2010 | Exxon ($322bn), Microsoft, Walmart, Google, Apple |
2020 | Apple ($1.3tr), Microsoft, Google, Amazon, Meta |
2024 | Apple ($3tr), Microsoft, Google, Amazon, Nvidia |
La récente divergence des “Magnificent Seven” montre la nécessité d’analyser chaque entreprise individuellement en profondeur, et de ne pas se laisser duper par le marché.
Source : Bloomberg au 21.03.2024. Normalisé à partir du 28.07.2023.
Nous suggérons la prudence. Les perspectives économiques restent encore très incertaines. Comme le montrent les données de la Réserve Fédérale américaine, l’indice mondial d’incertitude des politiques économiques est nettement supérieur à sa moyenne sur 20 ans.
Source: US Federal Reserve Economic Data, 01.02.2024 Global Economic Policy Uncertainty Index
Il y a une grande incertitude quant au nombre et au timing des baisses de taux. La Réserve Fédérale américaine cherche à avoir une plus grande confiance sur le fait que l’inflation suive une trajectoire durable à la baisse avant de diminuer ses taux directeurs, mais la croissance de l’emploi reste solide et les prix des services continuent d’augmenter. Il n’est pas aisé de deviner où se situeront les taux d’intérêt d’ici la fin 2024, comme le montre le graphique ci-dessous.
Source : Bloomberg, FOMC Dot Plot, au 01.03.2024.
Une partie de l’incertitude est géopolitique, avec les guerres en Ukraine et à Gaza. En 2024, les pays représentant plus de la moitié du PIB mondial auront des élections. La liste des différentes élections se terminent par celle aux États-Unis. Elle se fera très probablement entre Biden et Trump, mais le résultat pourrait être influencé dans un sens ou dans l’autre par le nombre de votes que les principaux candidats perdent au profit d’un outsider, tel que Robert F Kennedy Jr.
Source: Jupiter, as at 29.02.24.
Y aura-t-il une résurgence du populisme ? Si c’est le cas, cela pourrait avoir des conséquences importantes pour le commerce mondial et la stabilité. Les risques potentiels comprennent la poursuite de l’expansionnisme russe et les ambitions de la Chine vis-à-vis de Taïwan.
Au milieu de toutes ces incertitudes, nous pensons que la recherche de la diversification a du sens. Notre stratégie « market neutral » est conçue pour fournir une véritable diversification, avec des performances décorrélées des marchés actions et obligations. Elle repose sur un large ensemble d’opportunités et une approche répétitive et impartiale. Nous ne croyons pas beaucoup aux histoires. Nous préférons les données tangibles.
Pour atténuer les biais comportementaux, nous avons développé un processus d’investissement hautement rigoureux et systématique. Plutôt que d’utiliser des techniques traditionnelles, telles que l’examen manuel des rapports annuels des entreprises, la rencontre avec les équipes de direction et l’étude manuelle des analyses tierces, nous préférons utiliser des techniques informatiques pour analyser de gros volumes d’informations publiques disponibles. Cela nous permet d’examiner un large univers d’actions mondiales selon notre ensemble diversifié de critères de sélection d’actions propriétaires, que nous avons développés, étudiés scientifiquement et affinés au fil des années.
1 https://financesonline.com/how-much-data-is-created-every-day/
2 Alejandro Bernales, Marcela Valenzuela et Ilknur Zer (Mars 2023), Effects of Information Overload on Financial Markets: How Much Is Too Much? Conseil des gouverneurs du Système de Réserve Fédérale, International Finance Discussion Papers, Number 1372. Disponible sur https://www.federalreserve.gov/econres/ifdp/files/ifdp1372.pdf
Jupiter Merian Global Equity Absolute Return Fund
Trouver de la diversification en période de marchés incertains.
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L’une des principales caractéristiques de l’approche de Jupiter en matière d’investissement est que nous évitons d’adopter un point de vue interne, préférant permettre à nos gestionnaires de fonds spécialisés de formuler leurs propres opinions sur leur catégorie d’actifs. Par conséquent, il convient de noter que toutes les opinions exprimées – y compris sur les questions liées aux considérations environnementales, sociales et de gouvernance – sont celles de l’auteur ou des auteurs et peuvent différer des opinions exprimées par d’autres professionnels de l’investissement de Jupiter.
Information importante
*A Hong Kong, les professionnels de l’investissement font référence aux investisseurs professionnels tels que définis dans l’Ordonnance sur les valeurs mobilières et les contrats à terme (Cap. 571 des lois de Hong Kong) et à Singapour, aux investisseurs institutionnels tels que définis dans la section 304 de la Loi sur les valeurs mobilières et les contrats à terme, chapitre 289 de Singapour.