Quelques mois à peine après avoir présenté le cadre de l’écologisation de son portefeuille d’obligations d’entreprises, la Banque d’Angleterre (BOE) a annoncé son intention de liquider toutes ses positions d’ici à la fin de 2023. Ce changement soudain de position met en évidence les défis que représente l’intégration d’objectifs environnementaux dans tout programme d’achat d’actifs des banques centrales.

 

L’assouplissement quantitatif est devenu un pilier de la politique monétaire des banques centrales pour tenter de stimuler la demande et de soutenir le système financier. Cependant, comme l’a expliqué William White dans un document pour la Fed de Dallas[1]en 2012, une politique monétaire ultra-accommodante peut avoir des effets indésirables à long terme.

 

Il convient de noter qu’un portefeuille établi dans le cadre d’un programme d’assouplissement quantitatif doit être considéré comme distinct d’un portefeuille d’investissement conventionnel de gestion des réserves de la banque centrale, qui a un objectif distinct et où l’intégration des considérations ESG est bien fondée1.

La Banque d’Angleterre montre la voie 

Au cours de la Conférence des Parties de 2021 à Glasgow (COP 26), la BOE a annoncé son cadre2 pour la mise en œuvre de l’écologisation de son portefeuille d’obligations d’entreprise de 20 milliards de livres sterling, détenu dans le cadre de son programme d’achat d’obligations d’entreprise (CBPS). Ce cadre représente une contribution importante, car les banques centrales du monde entier cherchent à mettre en place des processus permettant de prendre en compte les considérations environnementales dans les décisions de politique monétaire.

 

Cette décision a été précédée d’un élargissement3 des attributions de la BOE en mars 2021 pour inclure « …une croissance durable sur le plan environnemental et compatible avec la transition vers une économie nette zéro ». En vue d’atteindre cet objectif, la BOE a établi comme principe clé d’encourager les entreprises qui prennent des mesures pour atteindre le zéro net. Un élément positif notable de ce cadre est le soutien qu’il apporte aux investisseurs qui tentent déjà de faire avancer l’agenda environnemental parmi les sociétés privées non cotées, où les politiques et les rapports ESG sont généralement moins avancés.

 

Malgré les bonnes intentions de la BOE, les inconvénients potentiels sont nombreux et peuvent servir de leçon à toutes les autorités monétaires. (i) les banques centrales ne sont pas des investisseurs à long terme – en fait, elles pourraient se retrouver dans l’obligation de liquider leurs portefeuilles à brève échéance ; (ii) le risque de mal calibrer le cadre est élevé, ce qui risquerait de détourner les capitaux des entreprises les mieux placées pour respecter l’accord de Paris ; et (iii) le risque de compromettre l’indépendance de la banque centrale et, final, sa contribution essentielle au soutien de la transition climatique – la stabilité financière.

Il s’agit de l’écologisation de la politique et non de la politique verte – la distinction est importante. 

Les banques centrales ne cherchent pas à mettre en œuvre une politique verte, mais elles adoptent plutôt une lentille teintée de vert pour considérer les objectifs et les cadres existants. La conséquence naturelle de cette situation est que les banques centrales ne sont pas en mesure de s’engager dans la stratégie d’un investisseur à long terme, car leur horizon d’investissement sera dicté par l’incertitude du cycle de la politique monétaire. Lorsque l’inflation augmente et que la politique s’inverse, les banques centrales sont confrontées à une pression de vente sur les entreprises qu’elles considèrent comme vertes et qu’elles prétendent soutenir lorsque la marée va dans l’autre sens. Cela pourrait exacerber la négociation et la performance de ces obligations dans un contexte de resserrement des conditions financières sur le marché.

La CBPS influence largement les valorisations des obligations d’entreprises par un effet de  » signalisation « , c’est-à-dire qu’elle indique au marché qu’il y aura un filet de sécurité pour certains actifs et influence les décisions d’allocation de portefeuille des investisseurs. C’est pourquoi les mouvements les plus importants des titres financiers résultant de la politique monétaire se produisent souvent peu après l’annonce, plutôt que pendant la mise en œuvre, et les effets ont tendance à se faire sentir de manière générale sur les prix des actifs plutôt que sur les instruments spécifiques ciblés.

Les valorisations excessives des actifs verts varieront en fonction des périodes de demande excédentaire et des périodes d’offre excédentaire de capitaux. Cependant, peu d’éléments indiquent que les achats d’obligations d’entreprises par les banques centrales ont jusqu’à présent influencé les prix d’obligations spécifiques au-delà d’un effet plus généralisé sur le marché. Boneva, de Roure et Morley (2018)4ont constaté que les obligations éligibles au CBPS de la BOE ont surperformé les obligations non éligibles de 2 à 5 points de base, tandis que Makinen, Mercatanti et Silvestrini (2020)5n’ont constaté aucune différence entre les obligations éligibles et inéligibles dans le cadre du programme d’achat du secteur privé (CSPP) de la BCE.

 

Cela amène à se demander si le fait de donner une orientation verte au programme d’achat d’obligations de la banque centrale entraînera une divergence dans la valorisation des obligations entre les entreprises vertes et non vertes. En effet, les premiers résultats de l’écologisation du BOE CBPS ne montrent pas de divergence claire dans la performance (au-delà des effets bêta du marché) des obligations des émetteurs de carbone élevés par rapport aux émetteurs faibles éligibles au portefeuille du BOE CBPS (voir graphique 1). Cela pourrait être dû au fait que le cadre d’orientation de son portefeuille n’est pas simple, ce qui entrave la puissance de l’effet de signalisation. Une stratégie visant directement les obligations vertes par exemple, offrirait au marché un signal plus direct des actifs à acheter.

BOE CBPS eligible bonds – credit spread of high carbon basket versus low carbon baskets. Signalling effect unclear.

BOE CBPS eligible bonds - credit spread of high carbon basket versus low carbon baskets. Signalling effect unclear.

Source: Jupiter 31.01.22

Un champ d’application étroit entraîne une perte de perspective 

Le BOE a choisi un champ d’application étroit (champs d’application 1 et 2) pour prendre en compte la décarbonisation des entreprises, en grande partie en raison du manque de données disponibles, et il a été le premier à reconnaître qu’il s’agissait d’un domaine à améliorer. L’utilisation d’un champ d’application aussi étroit pourrait entraîner une mauvaise allocation du capital par rapport à son objectif. Pour un nombre important d’entreprises, le champ d’application 3 représente la majeure partie de leur empreinte carbone, et donc choisir de ne pas inclure une méthodologie d’estimation du champ d’application 3 pourrait faire pencher le portefeuille vers les émetteurs dont les émissions réelles sont parmi les plus élevées.

Les pièges d’un champ d’application étroit s’appliquent également à l’accent mis sur le risque de changement climatique dans le cadre d’un mandat couvrant la « durabilité environnementale » au sens large. Les données et les mesures englobant les risques et les opportunités liés au capital naturel et à la biodiversité en sont à un stade très précoce de développement et d’utilité. Cependant, en les ignorant complètement dans un cadre d’investissement environnemental, on ne reconnaît pas le lien indissociable entre ces défis. 

Ne pas considérer la transition comme un risque, mais plutôt comme un moyen de la réaliser. 

Le cadre du BOE est uniquement axé sur la décarbonisation et l’empreinte carbone des entreprises, sans reconnaître le rôle des entreprises qui relèvent les défis environnementaux. Il s’agit, selon nous, d’une lacune fondamentale de la méthodologie, qui se traduit par une stratégie axée uniquement sur la gestion des risques liés à la transition plutôt que sur la réalisation de la transition.

Cette lacune est peut-être mieux illustrée par un exemple. La BOE utilise son propre système de classification sectorielle. L’un de ces secteurs, Transport et Industrie, comprend 20 entreprises éligibles à l’achat. Sur ces 20 entreprises, 14 communiquent des données sur le carbone, les cimentiers européens présentant les émissions les plus élevées et les entreprises industrielles telles que Siemens et GE les plus faibles. Toutefois, les entreprises du secteur qui ne publient pas encore de données sur le carbone sont certaines des entreprises d’infrastructures ferroviaires et de transport de masse. Le gouvernement britannique s’est engagé à soutenir un programme d’investissement à long terme dans le cadre de son plan de décarbonisation des transports. Le cadre CBPS de la BOE n’est pas cohérent ou ne soutient pas une telle stratégie. 

Issuers in the BOE Industrial & Transport Sector ranked by carbon intensity and contribution to climate investment

Issuers in the BOE Industrial & Transport Sector ranked by carbon intensity and contribution to climate investment

Source: Sustainalytics and Jupiter 31.10.21

Attention à l’impact de l’inflation sur la transition climatique, plutôt que l’inverse 

Le rôle clé d’une banque centrale est de tenter de gérer le niveau et la stabilité de l’inflation. La transition climatique et les risques physiques auront des répercussions sur l’inflation, mais il est très dangereux de prédire la direction de ces répercussions. L’opinion consensuelle suggère que la transition climatique sera inflationniste. Cependant, nous restons prudents car nous considérons que les arguments en faveur de pressions tant inflationnistes que déflationnistes (par exemple, l’offre excédentaire, les gains de productivité) sont valables. Par conséquent, au lieu de nous inquiéter des conséquences de la transition climatique sur l’inflation, nous sommes plus préoccupés par les conséquences de l’inflation sur la transition climatique elle-même, en raison des effets déstabilisants de l’inflation sur le système financier.

Malgré les meilleures intentions, nous soutenons que les conséquences involontaires des programmes d’assouplissement quantitatif verts des banques centrales pourraient causer plus de mal que de bien. Les banques centrales devraient plutôt concentrer leurs efforts sur la gestion des risques au sein du système financier en ce qui concerne les risques liés au climat et à la nature (c’est-à-dire les mesures macroprudentielles) et, surtout, sur leur rôle fondamental de soutien à la stabilité des marchés financiers. Étant donné le rôle important des marchés de capitaux dans le financement de la transition, les efforts de décarbonisation ne pourront être réalisés sans un système financier stable. 

La valeur des esprits actifs : la réflexion indépendante

L’une des principales caractéristiques de l’approche d’investissement de Jupiter est que nous évitons l’adoption d’un point de vue maison, préférant permettre à nos gestionnaires de fonds spécialisés de formuler leurs propres opinions sur leur classe d’actifs. Par conséquent, il convient de noter que toutes les opinions exprimées – y compris sur les questions relatives aux considérations environnementales, sociales et de gouvernance – sont celles de l’auteur ou des auteurs et peuvent différer des opinions d’autres professionnels de l’investissement de Jupiter.

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*À Hong Kong, les professionnels de l’investissement font référence aux investisseurs professionnels tels que définis dans l’ordonnance sur les valeurs mobilières et les contrats à terme (Cap. 571 des lois de Hong Kong) et, à Singapour, aux investisseurs institutionnels tels que définis dans la section 304 de la loi sur les valeurs mobilières et les contrats à terme, chapitre 289 de Singapour.