Quelques trimestres se sont déjà écoulés depuis que nous avons commencé à mettre en évidence des signes de faiblesse dans de nombreuses grandes économies.

Le constat reste le même. Les banques centrales ont déjà procédé à d’importants resserrements, dont une grande partie n’a pas encore affecté la croissance mondiale. Une croissance beaucoup plus lente, de nouveaux changements de taux (y compris un assouplissement monétaire), une inflation plus faible à moyen terme et des risques croissants se profilent à l’horizon. Nous sommes convaincus que ces facteurs finiront par obliger les banques centrales à pivoter afin de préserver la stabilité financière et d’éviter des résultats économiques plus désastreux.

Pourtant, ce qui a changé récemment, c’est l’augmentation progressive du risque pour la stabilité financière des marchés, notamment au cours des six dernières semaines. C’est évidemment une préoccupation à bien distinguer des inquiétudes plus générales concernant la croissance et l’inflation. Après de nombreuses années de taux d’intérêt bas et de politiques monétaires accommodantes, nous craignons que des effets de levier cachés ou sous-estimés se soient accumulés dans certaines parties du marché. Les accidents financiers ont tendance à se produire lorsque ces effets de levier arrivent sur le devant de la scène à cause d’un mouvement significatif du marché qui révèle la vulnérabilité du système. Dans le passé, des exemples de tels mouvements ont été la forte hausse du dollar américain, une augmentation significative des prix du pétrole d’une année sur l’autre ou lorsque les taux d’intérêt à long terme ont atteint certains seuils. En 2022, nous avons subi les trois ! Par conséquent, nous pensons que le reste de l’année et les premiers mois de 2023 pourraient être des « moments critiques » pour les marchés financiers et restons attentifs aux premiers signes d’émergence d’une plus grande instabilité.

Lors de récents échanges avec des clients, nous avons mis en évidence le risque que quelque chose se brise, avec de nombreux suspects potentiels. Bien sûr, le premier domino à tomber est toujours le plus inattendu. En d’autres termes, nous n’avions pas vraiment envisagé les heures de panique sur le marché des Gilts britanniques au cours de la dernière semaine de septembre et la volatilité importante des premières semaines d’octobre, avec un risque sérieux provenant du système de retraite britannique lui-même et de la gestion de son passif (mandats LDI). Il s’agit d’un exemple clair de ces zones de fragilité inattendue dont nous avons parlé précédemment.

La réaction a été un changement radical de politique de la Banque d’Angleterre, qui est passée du resserrement monétaire à un quantitative easing « temporaire » en l’espace de deux jours. Cela ne doit pas nous étonner. Si la stabilité des prix est généralement le principal mandat des banquiers centraux, ils sont également les gardiens de la stabilité financière. Et lorsque cette dernière² est en jeu, les limites s’estompent et ils peuvent être contraints d’agir pour préserver le système.

Dans notre thèse de « moments critiques », nous voyons au moins trois grands domaines de faiblesse :

  1. Le durcissement brutal des conditions financières et les éventuelles répercussions que cela pourrait engendrer. Les mandats LDI au Royaume-Uni en sont un exemple clair.
  2. Ces derniers mois, la Chine a été un peu moins couverte par la presse. Pourtant le dégonflement de la bulle immobilière est toujours en cours. À plus long terme, il est difficile de concilier une économie fondée sur la construction et les dépenses d’infrastructure d’une part, avec les prévisions inquiétantes en matière de croissance démographique, la volonté d’éviter un assouplissement quantitatif massif et les objectifs de PIB exagérément élevés d’autre part.
  3. Alors que la Chine connaît des problèmes immobiliers, de nombreux marchés développés ne sont pas non plus épargnés. Après la croissance exponentielle des prix de l’immobilier observée ces dernières années, les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni commencent maintenant à connaître des hausses de prix plus modestes, voir dans certains cas une baisse des prix. Le resserrement des conditions financières a rendu le logement de moins en moins abordable et, si les prêts hypothécaires à taux variable ne constituent pas un problème grave aux États-Unis, ils sont une préoccupation majeure au Royaume-Uni et en Australie.


Il ne s’agit là que de quelques-unes des zones de fragilité que nous observons actuellement (d’autres sources de préoccupations pourraient être la crise énergétique en Europe, la géopolitique ou les asymétries de liquidité), qui ont toutes le potentiel d’engendrer des ajustements de prix de marché significatifs à l’avenir.

Ce n’est pas seulement une histoire de stabilité financière, mais aussi de baisse de la croissance et de l’inflation. En septembre et octobre, les chiffres de l’inflation ont encore dépassé les attentes, mais nous pensons que celle-ci finira par diminuer, même si ce n’est pas à la vitesse souhaitée par la Réserve Fédérale américaine. Le sentiment des consommateurs reste faible, les stocks continuent d’augmenter (par exemple Nike, Micron Technology), les commandes de biens durables se contractent& et les composantes de l’indice ISM pour les nouvelles commandes et l’emploi se sont effondrées. Ce sont des signes qui nous amènent encore une fois à penser qu’une certaine désinflation pourrait provenir des biens dans les trimestres à venir. Les produits de base continuent de baisser, ce qui atténue la pression sur les chiffres de l’inflation globale, les prix de l’immobilier américain ralentissent et, pour la première fois en août, nous avons reçu des rapports sur la baisse des loyers. Le logement a largement contribué à la croissance de l’IPC au cours des derniers mois, mais bien que nous ne devions pas minimiser de tels résultats, il est important de considérer la nature structurellement retardée des mesures de loyer dans l’IPC.

En dehors des composantes de l’ISM, le marché de l’emploi américain continue d’afficher des chiffres globalement solides, mais la chute des ouvertures de postes que nous avons observée plus récemment (bien que partant d’un niveau très élevé) pourrait être un premier signal que le vent tourne. En outre, de plus en plus d’entreprises ont annoncé le gel des embauches ou la suppression d’emplois (les dernières étant Stanley Black & Decker, Meta, Softbank, Gap et Boeing).

Le processus d’ajustement à l’inflation a été extrêmement douloureux jusqu’à présent pour les investisseurs, mais tout n’est pas sombre. Les valorisations des actifs obligataires sur la base du rendement global semblent de plus en plus attrayantes (surtout par rapport aux actions). Nous voyons une opportunité encore plus grande dans la duration et les obligations d’État aux États-Unis, en Australie et en Corée du Sud. Dans le même temps, le récent élargissement commence à faire passer les spreads de crédit dans un territoire plus attractif. En Europe par exemple, le segment de qualité inférieure du marché de l’Investment Grade (obligations notées BBB par les principales agences de notation) et le segment de qualité supérieure du marché du High Yield (obligations notées BB par les principales agences de notation) offrent aujourd’hui des écarts par rapport aux rendements actuels des bunds allemands qui ne sont pas très éloignés de ceux observés pendant la crise Covid. Même les valeurs très défensives du secteur des télécommunications ou de la santé offrent aujourd’hui des rendements de l’ordre de 7% à 9%.

En bref, les investisseurs de long terme et ceux qui recherchent des revenus récurrents peuvent clairement trouver de la valeur sur ce marché.

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